L'orientation par rapport au lieu

7 January 2012

Alors que l'on classe l'orientation comme étant une fonction mentale générale, qui comprend également la connaissance de sa relation avec soi-même, avec le temps et avec autrui; ce terme est généralement utilisé pour désigner la fonction que la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) désigne comme étant l'orientation par rapport au lieu (OMS 2001). On peut définir l'orientation par rapport au lieu comme étant simplement le fait d'être conscient de son emplacement dans l'environnement (c'est-à-dire dans l'environnement immédiat de la personne, son entourage ou sa localité) (Bérube 1991, Hill et Ponder 1976, Jacobson 1993, Jansson 2000, La Grow et Weessies 1994, Long et Hill 1997). De façon plus exhaustive, on peut également la concevoir comme étant « le processus permettant de se familiariser avec un nouvel environnement de sorte que les déplacements au sein de celui-ci et son utilisation ne dépendent pas d'indices mnésiques, comme de cartes » (Vanderboss 2007 657). En définitive, cette orientation est essentielle à l'acte de trouver son chemin, qui est considéré comme une activité humaine fondamentale comprenant des déplacements délibérés et dirigés dans le but d'arriver à une destination prédéterminée (Darken et Peterson 2002, Mast et Zahle 2008).

Le processus contribuant à l'établissement de l'orientation est, en grande partie, une activité automatique et pratiquement inconsciente (en regardant autour de soi, on sait où l'on se trouve) qui se produit au fil du temps. Bien que ce processus soit de prime abord de nature perceptuelle et surtout visuelle, il comporte aussi un volet cognitif étant donné qu'il exige le recours à la mémoire et à une conceptualisation spatiale et environnementale (Bentzen 1997, Thinus-Blanc and Gaunet 1997). En revanche, trouver son chemin est une activité plus consciente qui comprend des habiletés de planification et de résolution de problèmes (Long et Hill 1997). Par conséquent, une myriade de déficits perceptuels et/ou cognitifs peut imposer des limitations à l'orientation et à la capacité de trouver son chemin (Blasch et coll. 1997). En revanche, on peut avoir recours à des stratégies, des techniques et des dispositifs de rechange afin de surmonter ces limitations (Bentzen 1997, Blasch et coll. 1997, La Duke et La Grow 1985, La Grow et coll. 1990, Ponchillia et coll. 2007, Rieser 2008). Des solutions de rechange plus complètes et codifiées ont été mises au point pour les personnes ayant une déficience visuelle et sont connues sous le nom de techniques d'orientation et mobilité (voir Blasch et coll. 1997, Hill et Ponder 1976, Jacobson 1993, La Grow et Weessies 1993).

L'orientation décortiquée

L'orientation par rapport au lieu dépend de la collecte de l'information par l'entremise des divers sens (information visuelle, auditive, kinesthésique et tactile) et de l'interprétation de celle-ci de manière à établir la connaissance de la relation soi-objet (les relations spatiales qui existent entre la position d'une personne dans l'environnement et les principaux objets s'y trouvant) et de la relation objet-objet (les relations spatiales qui existent entre les objets) (Hill et Ponder 1976, Jansson 2000, Long et Hill 1997). Un certain nombre de concepts sont nécessaires pour établir cette connaissance, y compris ceux que l'on peut classer comme étant des conceptions du corps, de l'objet, de l'espace et de l'environnement (Hill et Blasch 1980, Long et Hill 1997). La conception du corps désigne la compréhension des positions potentielles du corps et de ses segments (en avant, en arrière et sur le côté), y compris la latéralité (droite ou gauche). La conception des objets se rapporte au fait de savoir que les objets sont relativement permanents (ils ne disparaissent pas lorsqu'ils ne sont pas vus, entendus ou touchés) et qu'ils comportent des caractéristiques qui sont définies selon leur forme, leur taille, leur couleur et leur fonction (une boîte aux lettres, une intersection, un escalier roulant, une école, un immeuble de bureaux, etc.). Les concepts du corps et de l'objet sont essentiels à la compréhension de simples relations soi-objet étant donné que celles-ci sont généralement comprises par rapport au plan du corps ou à la position frontale (l'objet se trouve soit devant moi, à gauche, à droite, ou derrière moi). Les concepts de l'espace comprennent la connaissance de sa position ou de son emplacement ou d'autres objets par rapport aux objets dans l'environnement en matière de direction relative et de direction de compas (en face, derrière, devant, avant, après, voisin, à gauche, à droite, au nord, à l'est, à l'ouest ou au sud). Les concepts de l'objet et de l'espace sont nécessaires dans la formation de relations objet-objet et de relations plus complexes soi-objet (je me trouve au nord et à l'est de la gare). Les concepts de l'environnement, comprenant la connaissance de l'itinéraire, soit les voies de circulation (rues, trottoirs, allées, escaliers, escaliers roulants et ascenseurs), la structure (environnements à un seul ou plusieurs étages) et la fonction des environnements construits, sont nécessaires pour situer les objets en contexte et, combinés aux concepts de l'espace, ils forment la carte conceptuelle ou carte cognitive d'un environnement donné (Bentzen 1997, Guth et Rieser 1997, Long et Hill 1997). Ces objets (les principaux objets contenus dans l'environnement et formant l'essence de la carte cognitive) peuvent ou non être immédiatement perceptibles pour l'individu (Jansson 2000). Les objets qui ne sont pas perçus immédiatement vont au-delà des limites perçues par les sens (trop loin pour voir, entendre ou ressentir) ou encore ils peuvent être masqués par d'autres objets de l'environnement (dans un virage, derrière un immeuble). Cette carte conceptuelle est nécessaire pour naviguer dans la plupart des environnements (Thinus-Blanc et Gaunet 1997).

Trouver son chemin

La navigation environnementale ou l'acte de trouver son chemin pour se rendre à destination demande un certain degré de conceptualisation spatiale et environnementale, de planification et de résolution de problèmes (Long et Hill 1997). C'est particulièrement vrai lorsque la destination du déplacement est imperceptible dans l'immédiat (soit trop loin ou bloquée par d'autres éléments environnementaux). Le fait de diriger ses mouvements pour atteindre un objet immédiatement perceptible (relation soi-objet) est souvent simple et consiste normalement à exécuter un déplacement en ligne droite guidé directement par la perception visuelle (Thinus-Blanc et Gaunet 1997), alors que le fait de se déplacer vers un objet qui est imperceptible dans l'immédiat est plus susceptible d'être associé aux parcours disponibles pour traverser un environnement donné (allées, passages, voies piétonnières, rues et lignes de transport en commun, escaliers, escaliers roulants et ascenseurs) et, par conséquent, d'exiger que l'individu retienne mentalement la destination voulue tout en exécutant un ou plusieurs changements de direction. À cette fin, l'individu se déplaçant devra probablement emprunter un chemin comportant un ou deux segments (passages, coins de rue, trajets d'autobus, escaliers) pour se rendre à l'objet désiré (destination). La fin de chaque partie constitue un point de décision (continuer tout droit ou tourner à gauche ou à droite) où il faut effectuer le bon choix (Long 2008). Ces choix sont généralement préétablis (planification des itinéraires) et basés sur la connaissance de sa position courante dans l'environnement tout au long de l'itinéraire (s'orienter) (Guth et Rieser 1997, Jansson 2000, Long 2008, Long et Hill 1997).

Tout déplacement vers une destination qui dépasse l'expérience perceptuelle immédiate repose sur la carte conceptuelle que l'individu a du secteur et exige que celui-ci mette constamment à jour (mise à jour spatiale) la position qu'il occupe dans ce secteur (Bentzen 1997, Long et Hill 1997). En conséquence, l'individu se déplaçant doit être en mesure de maintenir son orientation (orientation spatiale dynamique) et la rétablir en cas de perte (Cummins et Rieser 2008, Fougeyrollas et coll. 1998, Guth et Rieser 1997). Pour y arriver, l'information spatiale (relations objet-objet et soi-objet) doit être traitée en permanence ou du moins être mise à jour régulièrement (Jansson 2000, Long et Hill 1997, Mast et Zaehle 2008).

L'établissement et le maintien de l'orientation est une capacité fondamentale. Nous nous déplaçons dans un espace en 3D et nous devons être en mesure de nous orienter nous-mêmes et de naviguer dans cet espace (Mast et Zaehle 2008 239). La navigation environnementale ou le fait de trouver son chemin est une habileté comportant de multiples facettes et qui exige le bon fonctionnement du traitement et de l'interprétation de l'information sensorielle, de la connaissance conceptuelle, de la résolution de problèmes, du raisonnement et de la prise de décisions (Long et Hill 1997). Des limitations dans l'une ou l'autre de ces fonctions peuvent occasionner des restrictions sur le plan de la participation dans une myriade d'activités de la vie quotidienne de nature sociale, professionnelle, éducative et récréative (Blasch et coll.1997).

L'orientation et la mobilité des personnes ayant une déficience visuelle

On définit constamment l'impossibilité de se fier sur son sens de la vue pour s'orienter dans l'environnement, pour prévoir les itinéraires que l'on doit parcourir et pour confirmer sa position immédiate dans l'espace comme étant les limitations les plus importantes que connaissent les personnes ayant une déficience visuelle (Carroll 1961, Lowenfeld 1948, Yablonski 2000). Cependant, il est clair que l'on peut apprendre à utiliser l'information tirée des autres modalités sensorielles (ou de compléter l'information obtenue à partir de données visuelles limitées) pour arriver à naviguer dans des environnements de complexité variable (Rieser 2008).

Les diverses habiletés, techniques et stratégies qu'emploient les personnes ayant une déficience visuelle pour atteindre une autonomie fonctionnelle dans leurs déplacements sont connues sous le nom d'orientation et mobilité ou OM (voir Hill et Ponder 1976, Jacobson 1993, La Grow et Weessies 1994). L'orientation désigne les habiletés requises pour s'orienter par rapport au lieu, alors que la mobilité désigne l'action de se déplacer dans l'espace d'une manière sûre et efficace. Ensemble, ils mènent au mouvement directionnel et intentionnel et, finalement, à la capacité de naviguer dans des environnements de complexité et de direction variable (La Grow et Weessies 1994).

Le succès de l'OM dépend de la perception issue de l'interprétation exacte des indices sensoriels comme étant de l'information significative pour les déplacements. Le point central de l'OM est l'enseignement de la manière de prêter attention et d'interpréter correctement l'information sensorielle obtenue pendant les déplacements et de l'utiliser conjointement avec la connaissance de l'environnement dans lequel on se déplace. L'enseignement de l'OM est fondamental dans la prestation des services de réadaptation visuelle et il est reconnu comme étant partie intégrante du programme élargi d'enseignement aux enfants ayant une déficience visuelle (Crouse et Bina 1997, Hatlen 1996, Lewis et Allman 2000).

L'orientation ne dépend pas seulement de la collecte de l'information par l'entremise de tous les canaux sensoriels disponibles (information issue de la vision résiduelle, auditive, tactile, kinesthésique et olfactive), mais également d'une compréhension des régularités et des exceptions de celles-ci dans les environnements construits (concepts environnementaux). Cette information est utilisée pour développer une carte conceptuelle de l'environnement dans lequel on se déplace, pour planifier des itinéraires et se réorienter s'il y a lieu. Toutefois, aucune de ces informations n'est aussi complète ou définie que celles que les individus se déplaçant obtiennent normalement grâce à leur vision. On enseigne donc à ceux-ci comment

  1. attribuer une signification à des données sensorielles auxquelles on ne prête normalement pas attention
  2. prêter une attention sélective à des données sensorielles diverses
  3. effectuer une analyse critique de l'information reçue en relation avec la structure de l'environnement dans lequel on se déplace, et ensuite
  4. décider quelle(s) donnée(e) est la plus informative au moment opportun et agir en fonction de celle-ci

L'orientation dans des environnements plus complexes est fondée sur l'utilisation des points de repère géographiques et des points d'information (Guth et Rieser 1997, Jansson 2000, Long et Hill 1997). Le terme « point de repère géographique » est utilisé pour désigner les caractéristiques perceptibles et permanentes de l'environnement qui, lorsque connus, permettent aux personnes se déplaçant de connaitre leur emplacement précis dans un environnement connu (la seule fontaine se trouvant dans un centre commercial), alors que les points d'information (aussi connus sous le nom de repères, d'indices et d'indices majeurs) sont deux caractéristiques ou plus qui, quoiqu'insuffisantes en elles-mêmes comme points de repère géographiques, lorsque liées aux éléments de l'espace, répondent aux mêmes besoins (l'escalier roulant de la mezzanine extérieure d'un grand magasin) (Long et Hill 1997). L'orientation par rapport au lieu peut être facilitée par l'utilisation de cartes et de modèles tactiles à contraste élevé, l'affichage et les répertoires électroniques (Bentzen 1997), et plus récemment, les systèmes de positionnement par satellite (GPS) spécialement adaptés pour être utilisés par des piétons ayant une déficience visuelle (Ponchillia et coll. 2007).

L'orientation jusqu'au lieu réalisée par le fait de réussir à trouver son chemin (orienter ses mouvements pour se rendre aux endroits désirés) dépend également de la mobilité. On ne peut s'attendre à ce qu'un individu se déplaçant prête attention aux données sensorielles et à la configuration de l'environnement si un certain degré de sûreté et d'efficacité des mouvements n'est pas assuré. La sûreté est assurée, autant que possible dans les déplacements non visuels, en ayant recours à des dispositifs d'aide à la mobilité, comme des personnes guides, de longues cannes, des chiens guides et des aides aux déplacements électroniques (La Grow et Weessies 1994). Ces dispositifs donnent à la fois une idée de la surface (détection des dénivellations) et des objets rencontrés (présence d'objets sur le parcours) (Blasch et coll. 1996). La façon dont ces dispositifs sont utilisés détermine la mesure dans laquelle la prévisualisation, et donc la sûreté, est assurée. En plus des questions de sûreté, l'individu n'ayant pas recours à la vision pour se déplacer doit être efficace afin

  1. d'établir et de maintenir un parcours en ligne droite
  2. d'arriver à effectuer et à reconnaître les changements de direction
  3. de contourner les objets qui se trouvent sur son parcours tout en maintenant son itinéraire de base et
  4. rétablir sa trajectoire après une perte d'orientation et d'autres changements de direction accidentels ou inattendus (Guth et Rieser 1997)

Par suite du recours à ces techniques et de l'enseignement dispensé, beaucoup de personnes ayant une déficience visuelle peuvent généralement se déplacer la plupart du temps de façon sûre et autonome dans la plupart des environnements et ainsi surmonter les limitations associées aux habiletés complémentaires d'orientation et de mobilité issues des limitations dans la fonction visuelle (Jansson 2000, Long 2008).

source d'origine : http://cirrie.buffalo.edu/encyclopedia/fr/article/3/